Nous sommes le 28 octobre 1905 et comme vous le savez, en ce moment a lieu le troisième Salon d'Automne, initié par Frantz Jourdain. Cette exposition annuelle laisse y voir peintures, sculptures, photographies, dessins, gravures et arts appliqués.. Cet évènement artistique très attendu, ouvre ses portes au Grand Palais, sur l'avenue des Champs-Élysées, mais il prendra fin le 25 Novembre prochain. Alors pressez-vous d'y mettre le nez, car c'est un véritable zoo!
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Grand Palais, Paris |
En effet, on vous conceillera de visiter la salle VII. Charles Plumet, l'architecte en charge de l'organisation des salles a choisit de la mettre bien en évidence, au coeur m
ême du salon. Cela ne semble pas anodin vu ce qu'elle représente; depuis quelques jours, elle attire tout les regards et les critiques les plus virulentes. Autour de deux bustes en marbre type renaissance d'Albert Marque, sont regroupées 39 oeuvres bariolées, dont les couleurs sont bel et bien les plus vives et les plus violentes du salon tout entier. La numéro VII réunit six peintres: Charles Camoin, André Derain, Henri Manguin, Albert Marquet, Henri Matisse et Maurice deVlaminck.
Les t
âches, aux couleurs pures, laissées par les coups de pinceaux brutales de ces artistes nous agressent. C'est un véritable « pot de peinture jeté à la face du public » pour reprendre l'expression de Camille Mauclair. Leurs brosses sont totalement en délires. On ne comprend m
ême pas pourquoi leurs toiles ont été regroupées entre elles car leur style ne semblent pas homogènes. Mais apparemment, leur but commun est de représenter la nature et les choses telles qu'ils les ressentent, et non comme elles le sont en réalité. Nous, on dirait plut
ôt que ce qui les réunit tous ici, c'est leur incoherence!
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Les Fauves, Exposition au Salon d'Automne, journal L'Illustration, 4 Novembre 1905 |
Certains les classeront bien sous le style impressionniste mais apparemment ce n'est pas à ce mouvement que les artistes s'identifient. Pourtant, on sait bien que Vlamick, Derain et Matisse sont tous trois allés à l'exposition de Van Gogh(1) en 1901 aux Galeries Bernheim Jeune. On sait aussi qu'ils ont beaucoup aimé son travail, son style, et sa recherche chromatique et son coup de pinceaux. Par ailleurs, les ombres colorees nous rapelle aussi le travail de Gauguin(2). Ce sont des copieurs!
Mais attention ici, on parle d'un art fondu sur “l'instinct” et “l'autonomisation de la couleur”: ils peignent les choses avec la couleur qu'ILS ressentent, EUX, pour soit disant en ressortir l'expressivité. Ce sont des égoistes!
Les palettes de couleurs explosives s'opposent alors à ce que peut
être la douceur de l'impressionnisme. C'est bien pour cette raison que Derain comparerait bien ses tubes de peinture à des cartouches de dynamite! Les couleurs ne sont pas là pour faire voir, elles sont là pour
être vues! Elles s'éloignent excessivement de la réalité, et prennent
trop d'autonomie,
ça c'est sure. Il faudrait les dresser ces arnachistes!
Pour vous donnez un premier avant-gout, voici les dernières critiques, dont la plus célèbre n'est rien d'autre que celle du critique d'art le plus influent du moment, Louis Vauxcelles (3), dans le quotidien
Gil Blas:
« Au centre de la salle, un torse d'enfant et un petit buste en marbre d'Albert Marque, qui modèle avec une science délicate. La candeur de ces bustes surprend au milieu de l'orgie des tons purs : Donatello (4) parmi les fauves ». Cette remarque a tellement plu, qu'on pourrait bien appele cette salle: la “cage aux fauves”!
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Room number 7 at Salon d’Automne de Paris, 1905 |
Marcel Nicolle, dans le Journal de Rouen, décrit les toiles comme des « jeux barbares et naïfs d’un enfant qui s’exerce avec la boîte à couleurs. »
Gertrude Stein (5) pourtant défenseuse de ce qu'on pourrait appeler l'art “moderne”(6), avoue en parlant de
La Femme Au Chapeau de Matisse, que « les visiteurs pouffaient en regardant la toile, et on essayait de la lacérer».
André Gide, l'homo intellectuel, a été cependant plus sympathique à l'égard des artistes, il écrit ainsi dans la
Gazette de Beaux-Arts (
décembre 1905) :
« Lorsque j’entendais crier devant Matisse : "c’est de la folie !" j’avais envie de répliquer : "mais non, Monsieur, tout au contraire. C’est un produit de théories." Tout s’y peut déduire, expliquer ; l’intuition n’y a que faire. Sans doute quand M. Matisse peint le front de cette femme couleur pomme et ce tronc d’arbre rouge franc, il peut nous dire : "c’est parce que…" Oui, raisonnable, cette peinture, et raisonneuse même. » .
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La Femme Au Chapeau, Matisse, huile sur toile, 1905 |
Mais revenons encore à l'une des peintures la plus mal menée au cours du vernissage, La femme Au Chapeau de Matisse (voir ci-dessus). En effet, il a bien suscité l'hilarité. La femme representée est l'épouse du peintre, Amélie Matisse. On aurait bien honte d'être à sa place! Les coups de pinceaux imprécis de son mari lui ont laissé des tâches roses, vertes et jaunes sur le visage, elle parait presque malade. Son chapeau géant aux larges applats multicolores lui écrase la tête. On ne se sait pas de quoi il est décoré, est-ce de larges plumes d'oiseaux rares ou seulement quelques fleurs? Dans tous les cas, son chapeau ne l'embellit pas. Les couleurs brutes de son costume font mal aux yeux tellement elles vibrent. Par ailleurs, l'artiste a même avoué que ce jour là, elle était habillée tout en noir. On ne voit pas le rapport! Ses mains imposantes, dont on ne peut distinguer les doights sont disgracieuses, elles ne ressemblent pas à celle d'une femme ou en est-ce une?
En attendant d'en voir plus par vous-même, on vous laisse découvrir quelques autres toiles exposées en ce moment même!
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La sieste, Henri Manguin, huile sur toile, 1905 |
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Vue de Coullioure, André Derain, huile sur toile, 1905
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Le port de Menton, Albert Marquet, huile sur toile, 1905 |
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Le Port de Cassis, Charles Camoin, huile sur toile, vers 1901 |
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L’Etang de Saint-Cucufa, Maurice de Vlaminck, huile sur toile, 1903 |
(1) Van Gogh (1853-1890) est un peintre et dessinateur néerlandais. Son œuvre pleine de naturalisme, inspirée par l'impressionnisme et le pointillisme, annonce le fauvisme et l'expressionnisme.
(2) Paul Gauguin (1848-1903) est un est un peintre postimpressionniste francais.
(3) Louis Vauxcelles(1870-1945) est un des critiques d'art francais le plus connu du XXe siècle. Il donnera en 1905 donnera son nom au fauvisme et en 1908 au cubisme. Il était très conservateur et ne comprennait pas les idées avant-gardistes au point de s'acharner sur eux dans ses critiques.
(4) Donatello (1386-1466) est un sculpture italien de la Première Renaissance.
(5) Gertrude Stein est une une poétesse, écrivain, dramaturge et féministe américaine qui defendait l'art moderne, et participa à sa diffusion aux Etats-Unis. En 1905, elle et son mari commencèrent véritablement leur collection en achetant “La Femme Au Chapeau” de Matisse.
(6) Réference à Baudelaire qui utilisait déjà le terme de moderne au XIXe siècle dans cette citation “ Manet est un peintre de la vie moderne”.